In : 1997 : Dossier : L’architecture et son lieu – La part de l’œil (13, pp 178-181)
Josée Leybaert & J.S., Axonométrie droite 1 (1996). Mine de plomb, 38,5 X 158 cm. Détail
Le plan du sol – l’ichnographie comme la nomme Vitruve – se donne les moyens d’être fidèle à l’architecture : pur recueil de traces, il s’abstient de toute appréciation qui en déplacerait le réel. Les lieux, à savoir les traces mais aussi les espacements qu’elles instituent, sont livrés selon l’égalité de droit qui régente leurs articulations. Une égalité qui dispose qu’au principe, c’est-à-dire avant toute chose, un ici vaut bien un ailleurs. A l’envers de la perspective à point de fuite, aucune valeur particulière n’est accordée à un lieu qui se poserait en avant ou qui, dans son éloignement, partagerait l’aura romantique de l’infini.
L’ichnographie ne se donne pas pour la maîtrise d’un sujet à qui les lieux rendraient des comptes – et en bon ordre : elle n’est là pour personne qui puisse la considérer sienne, c’est dire qu’elle demeure le recueil d’une vraie disponibilité.
Mais si le plan du sol est fidèle au réel des étendues, à l’étendue de la terre marquée par l’architecture, il lui manque d’inscrire l’expérience de la profondeur qu’ordonne l’architecture.
L’axonométrie droite redresse l’ichnographie pour lui ajouter la profondeur. Le monde n’est pas plat, il est troué : les corps s’y laissent capter par la profondeur. A cette expérience, l’axonométrie droite se veut fidèle, sans pour autant étager la profondeur entre un proche et un lointain. Surtout, au contraire des axonométries courantes, elle s’abstient de lancer une dimension oblique, tierce, qui « lèverait » ou « creuserait » l’espace en embarrassant les orthogonalités fondatrices de l’architecture : celle de l’angle droit marqué au sol, et celle de l’aplomb qui tombe du ciel – l’axonométrie droite confirme l’instauration des orthogonalités.
L’étendue des sols et l’étendue des volumes d’air sont produites ensemble, portés par une structure qui ne se laisse pas distraire de l’ordre des matières et des espacements. Cette structure dessinée est l’équivalent, en traits ou en grains – on pourrait dire une écriture comme on entend l’écriture musicale, de la disponibilité des lieux.
Seule instance qui appelle les plaisirs de la figuration : une projection d’ombre confirme les positions relatives des murs et des sols. Elle suppose un soleil oblique qui croise la géométrie et les aplombs – et les regarde pour leur donner existence une nouvelle fois. Des amas de pénombre doublent la logique des traces, et le tactile s’ajoute aux raisons d’un recueil fidèle.
J.S.